Après une sup ratée, peut-on rebondir ?
M. m'écrit :
Bonjour Doc,
Je rencontre vraiment énormément de difficultés surtout quand il s'agit de "concours" et de " réussite".
J'ai eu mon bac avec plus de 18 de moyenne, j'ai hésité à aller dans une université chinoise, ou américaine, et finalement je suis allée en prépa, une MP2I dans un petit lycée. Cela ne me paraissait pas très difficile.
Mais voilà que je vois le niveau attendu, le niveau de ma prépa et pire, sans dénigrer mes profs, ils s'en foutaient de nous (le prof de physique surtout, j'ai lâché cette matière). Ma premiere réaction: BURN OUT! je suis entrée en surmenage.
Maintenant que ma première année de MP2I est presque terminée, je me sens vraiment dépassée mais VRAIMENT! Je consulte une psychologue mais mes notes n'ont pas changé. Travailler avec l'espoir d'intégrer l'X, c'est devenu le néant.
Je vois les écoles prestigieuses danser devant moi. Je ne dis pas que les autres écoles sont mauvaises mais à ma place et avec une année presque terminée, je me sens dépassée.
Merci d'avoir lu mon mail. j'ai vraiment besoin de conseils concernant le moral de votre part.
M., ta situation est difficile mais il y a de l'espoir.
Ce qui s’est passé avant ta prépa
D’abord, je reviens sur tes années avant le bac. Tout était facile pour toi. Cela veut dire que tu avais des capacités, mais aussi — et surtout — que tes professeurs ne prenaient pas le temps de stimuler la tête de classe. À force peut-être de vouloir sauver les derniers, ils ont abandonné les premiers.
Ainsi, tu n'as jamais pu te confronter à des énoncés susceptibles de te poser problème, et crois bien qu’avec le programme de lycée on peut déjà poser des exercices arbitrairement difficiles. Par suite, tu te faisais une idée fausse des études scientifiques. Et ce n'est pas ta faute.
Dans ces conditions, la marche qui mène à la prépa était très haute. Tu l'as prise de plein fouet dans le visage à la rentrée dernière.
On peut comprendre que tu en sois sortie assommée en quelques semaines.
Le choc aurait été un peu moins rude aux États-Unis, mais plus violent encore en Chine.
Relativise ta situation
M., tu me demandes des conseils sur le mental. Mais j'ai déjà fait une série de trois articles sur ce sujet. Dans ton cas particulier, je te recommande la lecture de celui-ci : La paix intérieure.
Tes profs
Je dois aussi te dire que tu n'as pas rêvé concernant tes enseignants.
Même si tous les profs de prépa sont bons dans leur domaine, tous ne sont pas de bons enseignants.
Et tous ne placent pas la réussite de leurs élèves au premier plan.
D'après les nombreuses interviews que j'ai menées auprès de jeunes intégrés, et d'après mes relations personnelles, je suis convaincu que la grande majorité des profs de prépa sont de bons pédagogues qui prennent soin de leurs élèves. Mais pas tous.
Je compatis d'autant plus que, comme toi, j'ai eu des profs qui n'étaient pas à la hauteur de leur tâche.
Voici comment ça s’est passé pour moi
L'année avant que j'entre en sup, mon futur prof de maths s'était vu proposer par un parent d'élève de publier son cours -- ce qui avait sûrement conduit le prof à être bienveillant envers cette élève. Les premiers chapitres furent rejetés par l'éditeur car ils étaient bien trop difficiles. Mon année, notre prof recalibrait son livre pour un public d'agrégatifs. À mesure qu'il écrivait les nouveaux chapitres, il nous distribuait des polycopiés. On faisait donc beaucoup de hors programme, et on avançait à la vitesse de son livre. Nous étions ses cobayes. Nous avons ainsi passé tout un trimestre sur l'algèbre des groupes et sur l'arithmétique, ce qui est aberrant. Cela ne nous a pas laissé le temps de finir le programme ensuite. Son livre n'a (évidemment) jamais été publié, tout était illisible et inutilisable. Pour couronner le tout, la fille de notre prof était en 5/2, il l'aidait dans sa préparation et avait donc encore moins de temps pour nous. Nous n'avons fait aucun DM pendant l'année, et seulement deux DS chaque trimestre : ça lui évitait les piles de copies. Sa vraie passion dans la vie, c'était les frites.
Tu devines la conséquence logique d'une année pareille : ma première note de maths en spé, c'était 2/20. Et ce n'était pas un accident, je n'avais pas les outils pour faire mieux.
En physique-chimie, c'était différent. Notre prof voyait tout comme une occasion d'appliquer une formule. On choisit la bonne formule et paf, c'est terminé. C'est dévastateur, parce que l'on n'avait jamais l'occasion de comprendre ce qu'il y avait derrière cette formule. Il n'y avait pas de connexion avec le réel, seulement un jeu pour autiste. En plus, humainement, elle n'était vraiment pas une personne agréable. J'aimais la physique depuis longtemps, j'avais lu au collège-lycée tous les classiques de la vulgarisation, mais là je n'accrochais pas. Je n'arrivais pas à m'y intéresser. Et puis elle avait fait l'impasse sur quelques sujets, comme l'homogénéité, disant qu'on verrait ça en spé.
En spé, ma première note en physique-chimie, c'était encore 2/20. Et là aussi, c'était logique, c'était mon vrai niveau.
Toute mon année de sup a été gâchée.
Après une sup ratée, tout n’est pas perdu
Mais M., garde espoir car les retournements sont possibles.
En spé, j'ai eu des profs exceptionnels.
J'ai pu mener de front le rattrapage de la sup et l'apprentissage de la spé.
Ça a demandé du sang-froid, du travail, mais à la fin de l'année, j'étais au point en maths, en physique et en chimie.
J’ai été admis aux Mines de Paris et à Centrale Paris.
Une année de sup ratée, c'est un boulet, mais ce n'est pas une condamnation.
Tu auras peut-être plus de chance l'an prochain.
Bûche les matières littéraires
Pour cette fin d’année, tu n’as pas grand-chose à attendre.
Cela ne veut pas dire que tu dois te tourner les pouces.
Je t’invite à consacrer aux matières littéraires deux fois plus de temps que tu ne ferais si tes profs en sciences étaient passionnants.
Le français est une matière à gros coefficients et souvent négligée. Comme le programme sur lequel tu plancheras l’an prochain n’est pas celui que tu étudies actuellement, n’investis pas dessus. Par contre, la méthode de la dissertation mérite toute ton attention. Elle est d’ailleurs le vrai point faible de la plupart des candidats (en particulier la recherche d’une problématique), d’après les rapports des jurys.
Pendant ma sup, notre prof d’anglais faisait des cours à l’ancienne avec points de grammaire, exercices d’application et listes de vocabulaire à apprendre par coeur. C’était vraiment efficace. Du coup, c’était la matière que je travaillais le plus régulièrement. Et je me suis mis à lire des romans en anglais. Cela m’a bien servi aux écrits et aux oraux l’année suivante.
Si tu ne peux pas écouter tes profs, lis des livres
Si la rencontre ne se fait toujours pas avec tes profs en spé, tourne-toi vers des livres. Les gros pavés ne sont pas toujours digestes, mais ils sont, au moins, bien détaillés.
Tu peux d'ailleurs les utiliser dès à présent pour la fin du programme de sup.
Cet été, passe au moins trois semaines consécutives de vraies vacances -- bien méritées -- et garde du temps pour lire, peut-être, un aide-mémoire du programme de sup, on en trouve plusieurs en librairie.
Ce sont des compilations de fiches qui ne contiennent que le minimum à savoir. Cela te permettra d'arriver en spé en ayant les grandes idées à peu près en place. Ne panique pas si tu ne comprends pas tout, ou si tu ne retiens pas tout ; dans ta situation actuelle ce serait même normal. Et laisse tomber les exercices, le cours passe d’abord.
Des livres venus de l’espace
Alternativement, il y a des livres que je te recommande parce qu'ils te permettront d'aborder le programme avec un regard complètement différent, qui pourrait mieux te convenir.
En maths, un cours écrit par des Russes entre 1900 et 1912, de grands scientifiques qui, n'ayant plus rien à prouver à leurs collègues, n'ont pas craint d'écrire les maths en termes clairs et imagés. (Une blague qui circule chez les mathématiciens, et qui n'est pas loin de la vérité, c'est que si tes collègues ne comprennent pas ce que tu fais, ils t'ignorent, et s'ils le comprennent, ils te méprisent...) Un éditeur français l'a récemment fait traduire en français, c'est une merveille. Voici sa page Amazon. La description sur cette page contient, à la fin, des liens vers des chapitres gratuits en PDF, cela te permettra de te faire une idée du contenu.
En physique, un cours classique écrit par des Américains dans les années 1970, dit « cours de Berkeley », richement illustré, qui mise sur la compréhension des phénomènes. Hélas, il n'est plus édité en langue française, on ne le trouve qu'en occasion, assez cher, par exemple ici sur Amazon. Tu le trouveras peut-être dans une bibliothèque ?
Alternativement, pour une approche plus « littéraire » de la physique, il y a le célèbre cours de Feynman (années 1960). Difficile à trouver lui aussi, uniquement en occasion, mais il est certainement disponible dans les bonnes bibliothèques tant il était populaire en langue française il y a une vingtaine d’années.
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M., un dernier mot. Actuellement, tu nages dans le doute et les regrets. Cette angoisse t’épuise. Elle ne t’aide en rien à progresser. Pourrais-tu essayer de te dire “Et après tout, je m’en fous, j’y vais et on verra bien” ? Si cela ne t’est pas possible, peut-être que tu voudras jeter un oeil à ce livre dont on parle beaucoup.
Le Doc.