Comment avoir un mental solide (2/3)
Bonjour R.,
Hier je t'ai parlé du mental négatif, de ses usages et des manières de le tenir à distance.
Aujourd'hui, je passe au mental neutre, c'est-à-dire la paix intérieure.
Le mieux, le plus et le reste
Imagine que tu aies optimisé tes méthodes de travail et que tu travailles autant qu'il t'est possible. Ces hypothèses sont raisonnables, car tu as l'expérience de la prépa et la volonté de bien faire.
Dans ces conditions, il t'est logiquement impossible de faire mieux ou davantage. Tu n'as donc rien de plus à rechercher.
Pendant ma prépa, je me suis souvent répété cette phrase célèbre : « Il n'est nul besoin d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer ».
La première moitié se traduit, en prépa, par : pas besoin de rêver à une école pour se mettre au travail.
Et la deuxième : pas besoin de signes positifs concrets pour continuer.
Si tu fais déjà tout ce qui est en ton pouvoir, les conditions sont réunies pour que tu sois en paix. Dans l’immédiat, il n’y a rien de plus à désirer.
Persévère jour après jour sur cette route toute tracée.
Et tu intégreras la meilleure école dont tu es capable.
« Tu peux être tout ce que tu veux », qu'y disaient
Aïe ! Tu vas me dire : cela ne te garantit pas d'entrer dans l'école de tes rêves.
Là, on bute sur un totem importé, sur un fragment du mensonge que l'on nomme le rêve américain.
On répète aux élèves qu'ils peuvent devenir tout ce qu'ils veulent. Qu'il suffit de vouloir et de travailler.
Ce n'est pas vrai.
Ce qui est vrai, c'est qu'à tous les niveaux on peut trouver des élèves issus de n'importe quelle classe sociale.
Cela ne signifie pas que tout le monde peut intégrer le top 3 des écoles d'ingénieurs (X, Mines de Paris, CentraleSupélec).
Pas seulement pour des questions numériques, mais aussi, et surtout, pour des raisons de capacité.
Il faut être en paix avec cela. Je ne suis pas capable de remporter un marathon, ni de peindre un tableau qui révèle la beauté et le mystère du monde, ni de créer une entreprise qui deviendra une multinationale.
Encore moins les trois en même temps. C'est comme ça.
Tout le monde ne peut pas être exceptionnel, sinon ce terme ne voudrait rien dire.
Dans le fond, dire que chacun peut devenir ce qu'il veut, c'est dire à ceux qui n'y sont pas parvenu que l'échec est de leur faute.
Alors que le but était peut-être tout simplement hors de portée, quels que soient les efforts déployés.
Ce qui était un « pieu mensonge » au collège-lycée pour encourager les élèves devient un obstacle en prépa en fixant des buts irréalistes.
Nul ne peut intégrer l'une des meilleures écoles sans travailler d'arrache-pied en prépa ; mais pour la majorité des élèves, travailler d'arrache-pied ne suffit pas à intégrer l'une de ces écoles.
À l'impossible, nul n'est tenu.
Ton objectif maximal raisonnable ne peut être que d'intégrer au mieux de tes capacités.
Si ta façon de faire est bonne, si tu donnes le meilleur de toi-même, alors sois tranquille, sauf pépin de santé tu auras le meilleur résultat que tu pouvais avoir.
Tu ne peux pas encore savoir ce que ce sera.
Peut-être le top. Peut-être pas. Tu verras bien.
Ce qui dépend de toi, c'est ton travail et ta méthode.
Ce qui ne dépend pas de toi n'est pas de ta responsabilité.
Relativiser les concours
Une autre manière de te rapprocher de la zone neutre du mental, c'est de mettre les concours en perspective.
Les concours débouchent sur une école qui débouche sur un métier.
Est-ce que ton métier sera la partie la plus importante de ta vie ? Je te souhaite que non.
Il y a des raisons de penser que, par exemple, la famille que tu créeras sera plus importante, qu'elle sera une plus grande source de bonheur, de sentiment d'accomplissement -- c'est vrai aussi pour les garçons.
Le métier est important quand même, mais sais-tu combien des 200+ écoles d'ingénieurs préparent au métier que tu vises ? Des dizaines, à moins que tu n'aies en tête un domaine hyper spécifique comme la plasturgie industrielle (ISPA, Alençon), la micro-mécanique (SupMicroTech, Besançon), les textiles innovants (ENSAIT, Roubaix) ou les technologies du bois (ENSTIB, Épinal).
Entrer dans la plus célèbres des écoles qui préparent à ton futur métier ouvre plus de portes qu'entrer dans la moins bien cotée, mais on voit que l'on commence à raisonner à la marge. On n'est plus dans un absolu du type « Cette école-là ou le malheur éternel », mais seulement dans l'optimisation de ta carrière. Tu peux souffler.
Les concours, c'est le bout de la prépa, pas le bout du monde.
Relativiser en laissant une chance à l'inconnu
Si tu es comme la grande majorité des élèves de prépa, tu ne sais pas quel métier tu veux faire.
« Ingénieur » regroupe des dizaines de postes différents, chacun déclinable dans des dizaines de domaines industriels : bureau d'étude dans l'aviation, construction d'une centrale, exploitation d'une usine, maintenance du matériel, ingénieur d'affaires... On découvre cela en école.
Si tu n'as pas de but précis, pourquoi ne pas laisser aux écoles et aux entreprises une chance de te séduire ?
Relativiser le mur de la notoriété
En prépa, personne ne te parle des écoles d'ingénieurs.
D'ailleurs, tes profs ne les connaissent guère.
Dans ta tête, il y a d'un côté le petit groupe d'écoles dont tes parents ont déjà entendu le nom, de l'autre un océan d'écoles inconnues dont tu ne sais qu'une seule chose : elles ne sont pas célèbres auprès du grand public.
La notion de notoriété varie d'une famille à l'autre. Quand j'ai annoncé à ma grand-mère que j'étais pris aux Mines de Paris, son regard est parti dans le vague. Je viens du Nord, et le mot « mine » y a un sens bien précis, chargé d'histoire et de douleur. Elle m'a demandé si j'étais content. Bref.
On est naturellement attiré par quelque chose qui est socialement reconnu, c'est humain. Tes copains du lycée ne s'exclameront « Wouaaaah » que si tu intègres une école dont le nom leur est familier.
Mais peut-être que tu te sentiras bien plus en phase avec l'enseignement reçu dans une école peu connue qu'avec celui dispensé dans une école très prestigieuse.
Et cette école qui t’est inconnue peu être excellente dans son domaine de spécialité.
Je vais aussi te donner un exemple contre-intuitif. Des élèves de CentraleSupélec m'ont dit regretter d'avoir choisi cette école parce que leurs cours les préparaient à devenir cadre dans une multinationale, gestionnaire, marketeur, tandis qu'ils auraient voulu mettre les mains dans le cambouis et travailler sur le concret. Ils auraient été plus heureux dans une école moins célèbre et plus technique.
Bidouiller, faire de ses mains, c'est vraiment amusant. Tout le monde n'a pas envie de se retrouver dans une école type commerce.
L'école qui est la mieux faite pour toi est peut-être une école dont tu n'as jamais entendu parler.
Relativiser la spécialisation
Pour beaucoup, viser une école « généraliste », non technique, est une manière de repousser d'encore un an ou deux le choix d'un domaine de compétence.
Cela peut s'entendre, mais il faut comprendre aussi que le choix ne pourra pas être différé éternellement. Et que l'on n'a jamais toutes les cartes en main pour faire un choix qui soit le meilleur dans l'absolu.
Ett puis, même quand on a théoriquement toutes les cartes en main, on peut encore faire un mauvais choix, faute d’expérience.
Faire une école généraliste, ce n’est pas se donner du temps pour choisir une spécialité, c’est choisir une voie non technique.
Le remède au désir bien naturel de ne pas se tromper, ce n'est pas de viser une école qui évite de se mouiller, mais de se renseigner sur les écoles et les métiers.
Tu n'as pas beaucoup de temps à y consacrer, c'est une évidence.
Mais si tu repousses la recherche d'information au lendemain de ton dernier oral, tu auras un problème : savoir ce que tu veux est très difficile et demande un temps de maturation.
Pendant ces vacances de Noël, passe une heure à te questionner et à rechercher des infos en ligne. Que fait un ingénieur au quotidien ? Veux-tu travailler dans un bureau, dans un atelier de production, sur un site d'exploitation ? Dans quel pays ? Tu t'intéresses à ce qui est matériel ou à ce qui est intangible, comme le logiciel ? Etc.
Ces questions vont ensuite tourner dans un coin de ta tête pendant les prochains mois.
Recommence juste après les écrits.
Soit deux heures en tout.
Et quand tu auras terminé ton dernier oral, tu seras à même de faire des arbitrages parce que tu te connaîtras mieux.
De bonnes choses t'attendent, R., même si leurs modalités t'échappent encore.
Travaille beaucoup, travaille intelligemment, et tu arriveras dans une école qui est faite pour toi.
Demain, je te donnerai ma méthode pour avoir un mental positif. Je ne l'ai vue nulle part ailleurs. Mais attention, il faudra boucler ta ceinture.
Sébastien.