« Puis-je intégrer Centrale depuis une prépa faible ? »
M. me demande :
« Je suis élève en PSI* dans une prépa parmi les moins bien classées de France. Je suis actuellement deuxième de ma classe et je me débrouille bien dans les matières scientifiques. Mon objectif est d'intégrer CentraleSupélec. Mais mes devoirs surveillés préparent davantage à e3a ou CCINP. Comme je viens d'une prépa très mal classée, il m'est très difficile de me situer par rapport aux autres candidats. Je voudrais savoir s'il est possible, malgré ma prépa, d'être ambitieux au concours. »
Bravo M. pour ton rang dans ta classe et pour ton ambition aux concours. C'est précieux d'avoir un objectif.
Je fais l'hypothèse que tu vises l'école CentraleSupélec plutôt qu'une école, n'importe laquelle, du concours Centrale-Supélec.
On va commencer par chercher des informations précises.
Première question : quelle fraction des PSI* sont admis à CentraleSupélec ?
D'après le ministère de l'éducation nationale, il y a 5500 élèves en PSI+PSI*. Dans la base des classes de prépa que j’utilise pour Prépa Magazine, je trouve 171 classes de PSI* et 342 classes de PSI. Si le nombre d'élèves par classe est le même, il y a environ 1800 élèves en PSI*.
D'après SCEI Concours, en 2024, le rang moyen des intégrés à CentraleSupélec en filière PSI était 179, ce qui laisse penser que le rang du dernier admis était aux alentours de 360.
Au doigt mouillé, pour entrer à CentraleSupélec, il faut donc être dans les 20% d'élèves de PSI* les plus solides. C'est difficile, mais pas inhumain.
Deuxième question : d'où viennent les élèves qui intègrent CentraleSupélec ?
Dans le rapport du concours Centrale-Supélec 2024, je n'ai pas trouvé les lycées d'origine des élèves qui ont intégré CentraleSupélec. L'information est par contre disponible pour l'X, dans les statistiques qu'elle publie.
À l'X, on constate que, sur l'ensemble des filières, il est rarissime qu'un intégré provienne d'un lycée méconnu. On peut supposer que la corrélation s'amenuise à mesure que le prestige de l'école diminue, mais il n'y a probablement pas de décrochage aussi haut dans le panier.
Conformément à l'intuition, les élèves qui intègrent les écoles les plus prestigieuses viennent tous (ou quasiment) des prépas les mieux classées. Ceci valide tes craintes — mais tout n'est pas perdu.
Tu peux y arriver
Le fait que tu sois en classe étoilée montre que tes professeurs ont estimé que tu avais une chance raisonnable de réussir les concours les plus difficiles. Le potentiel est là.
Comment te comparer aux autres lycées
Pour savoir comment tu te positionnes par rapport aux candidats des autres lycées, procure-toi la liste des écoles intégrées par les élèves de ta classe les années précédentes. Regarde les 3 meilleures écoles décrochées chaque année. C'est ce vers quoi tu te diriges si tu te contentes de te laisser porter par la vague. Pour aller au-delà, tu vas devoir changer quelque chose.
Tu as besoin d'aide : recrute tes profs
Sache que les professeurs des petites prépas ne sont pas moins bons que ceux des grandes prépas. La capacité à enseigner n'est en effet que l'un des nombreux facteurs qui orientent la carrière d'un prof de prépa. En voici d'autres : en début de carrière, son rang à l'agrégation, le fait qu'il ait ou non un doctorat, et la simple chance ; en milieu de carrière, son investissement dans les jurys de concours et ses choix personnels concernant son lieu de vie et sa charge de travail. On pourrait ajouter ses affinités (humaines, politiques et autres), ou pas, avec l'inspecteur général dans sa matière au moment où il a été inspecté.
Cela veut dire que tes professeurs actuels sont parfaitement à même de te préparer à CentraleSupélec plutôt qu'à e3a et CCINP. S'ils ne le font pas, c'est parce que les autres élèves de ta classe n'ont pas le niveau.
Tes professeurs ne peuvent pas changer l'orientation de leur cours juste pour toi, mais ils peuvent te proposer des suppléments ou, encore mieux, des remplacements. Par exemple, te donner un DM d'un niveau plus relevé à la place du DM donné aux autres élèves. Allonger les feuilles d'exercices avec une section « Pour Centrale ». Donner consigne aux colleurs de te poser des exercices du niveau des oraux de Centrale.
Parle-leur de ton projet, demande-leur de t'aider à le réaliser. Formule tes demandes, écoute leurs propositions. Il devrait en ressortir quelque chose. Sois assuré que les profs sont toujours contents et fiers quand leurs élèves réussissent. En outre, la gloire de leurs élèves rejaillit sur eux.
Cependant, garde à l'esprit qu'aucun prof n'aime corriger des copies. Et que faire deux énoncés au lieu d'un, c'est deux fois plus de travail. Il est donc possible qu'ils refusent, ou qu'ils se lassent rapidement.
Je te conseillerais en pareil cas de faire dépendre ton travail du chapitre. Quand tu te sens à l'aise, et que tu as l'impression que le DM te demande d'ânonner ce que tu sais déjà, laisse tomber l'énoncé de ton prof et utilise un vrai énoncé de Centrale (tu sais que le moteur de recherche de Doc Solus te permet de choisir un chapitre précis) ; si tu t'en sens l'audace, rends à ton prof ton travail sur cet énoncé au lieu du DM demandé. Si au contraire tu n'es pas à l'aise avec le chapitre, fais plutôt le DM qui t'a été demandé.
En travaillant avec tes profs à tes côtés, tu as des chances d'aller plus loin que les élèves qui t'ont précédé dans leur classe.
Le français, la langue étrangère
Si tu consultes la notice du concours Centrale-Supélec 2025, tu verras (page 24) que chacune des 4 épreuves écrites de maths ou de physique porte un coefficient 15, auxquels s'ajoutent 12 pour S2I, 17 pour le français, 11 pour la langue étrangère. C'est donc plus du quart des coefficients qui sont affectés à ces deux dernières matières (et encore 13% pour la langue étrangère à l'oral).
Dans ton cas, mieux vaut sans doute mettre l'accent sur les matières scientifiques, mais tu peux attraper aisément des points dans les matières littéraires de la manière suivante.
Pour la langue étrangère, disons l'anglais, adapte tes loisirs. Si tu regardes un film (ou une série), choisis-en un dont les paroles et les sous-titres sont en anglais. Si tu aimes lire, opte pour un livre en langue anglaise, pourquoi pas visant un public adolescent pour que le niveau de langue ne soit pas trop élevé : c'est la pratique régulière de la langue qui compte, pas l'histoire qui est racontée. Ou pourquoi pas des BD en anglais ? Si tu aimes écouter de la musique chantée, trouve en ligne les paroles de tes chansons préférées (mais attention à ne pas t'imprégner de tournures trop familières). Bref, optimise tes loisirs pour la pratique de l'anglais.
Pour le français, le défaut de majorité des élèves est de ne pas savoir problématiser. Le sujet est trop vaste pour un mail : je t'invite à choisir un livre sur la dissertation à la bibliothèque ou en librairie et à travailler spécifiquement les pages (et les exercices) portant sur la problématisation. Et pour que tes dissertations contiennent des exemples dits « personnels » (plutôt que les classiques répétés dans tous les cours), tu peux faire des oeuvres au programme tes livres de chevet.
Prépare le coup d'après
Par ailleurs, cela ne peut pas faire de mal de penser déjà à l'année prochaine. Au cas où tu n'intégrerais pas CentraleSupélec du premier coup, tu aurais tout intérêt à faire 5/2 dans un lycée plus fort.
Si tes parents peuvent t'aider, demande-leur d'identifier dès janvier la procédure administrative pour changer de lycée entre la 3/2 et la 5/2. Il faut aussi que tu saches sur quels critères un autre lycée est susceptible de t'accepter : tiendront-ils compte uniquement de tes notes pendant l'année (sup et spé), ou aussi de tes résultats aux concours ? Selon la date à laquelle leur choix est définitif, ils peuvent ne tenir compte que des écrits, ou aussi des oraux.
Joker : tu peux faire mieux
Je t'invite à... reconsidérer ton objectif. Non pas qu'il soit inatteignable, mais parce qu'il est vraisemblablement sous-optimal.
Avec le peu d'informations de ton courrier, je suppose que tu vises CentraleSupélec parce qu'elle est la plus accessible des écoles très prestigieuses.
Si c'est bien ton raisonnement, il signifie que tu choisis une école sur son nom plutôt que sur son enseignement ou sur les métiers auxquels elle prépare.
Regarde alors sur les réseaux sociaux ce que des élèves de CentraleSupélec disent de leur scolarité, ainsi que sur la nature des cours et sur les métiers que l'on fait le plus souvent en sortie. Si ton rêve est de devenir cadre bien payé dans une grande entreprise, avec de la gestion d’équipe et une touche de business, tu es sans doute sur la bonne voie. Mais si tu aimes bidouiller des choses avec tes mains, si tu veux pouvoir montrer les réalisations de ton équipe à ta famille et à tes copains, CentraleSupélec n'est peut-être pas l'école la mieux adaptée.
Renseigne-toi aussi, le moment venu, sur les métiers auxquels préparent les écoles qui t'ouvriront leurs portes. Bien souvent, en prépa, on n'en sait rien du tout, et ce que l'on imagine n'a qu'un lointain rapport avec la réalité. Il est possible, voire probable, que l'école dans laquelle tu t'épanouirais le mieux ne coïncide pas avec la plus prestigieuse de celles qui t'admettront.
Il ne servirait pas à grand chose que tu te renseignes longuement sur les métiers de l'énergie ou des transports. Ce qui te sera vraiment utile pour faire un choix, c'est d'avoir les idées claires sur tes propres inclinations : dans 10 ans, veux-tu être à ton compte ou salarié ? Te sens-tu attiré par l'expertise ou par la gestion d'équipe ? Aimes-tu manipuler du métal ou plutôt un clavier d'ordinateur ? Veux-tu travailler dans un bureau ou sur un chantier ? Qu'est-ce qui t'amuse et que tu te verrais bien faire pendant de nombreuses années ?
Je dis cela car bien des élèves choisissent une « école généraliste » pour repousser encore un peu le moment de faire un choix. C'est tout à fait compréhensible sur le principe, car la prépa ne donne aucune information sur les métiers des ingénieurs. Mais c'est aussi une illusion. Une école « généraliste » ne prépare pas à « tous les métiers de l'ingénierie » mais plutôt à des métiers qui sont loin de la technique. Ça plaît à certains, mais pas à tout le monde.
Attention à l'IA
Enfin, il y a seulement 2 ans, les « intelligences artificielles » étaient encore, en pratique, un échec. Aujourd'hui, elles se montrent utiles dans un grand nombre de situations. Elles n'ont aucune intelligence, dans le sens où elles ne produisent pas des pensées originales pour résoudre des problèmes nouveaux, mais leurs connaissances sont encyclopédiques et elles savent les restituer de manière pertinente et synthétique. De la sorte, elles peuvent t'aider à résoudre un problème qui est nouveau pour toi sans être nouveau pour l'humanité. Ce qui suffit, dans la plupart des cas.
Je ne sais pas où en seront les IA dans 4 ans, quand tu termineras ton école, ni quels métiers elles rendront obsolètes. Mais si j'étais à ta place, je choisirais une école qui travaille activement sur ces questions : Enseigne-t-elle l'IA ? L'intègre-t-elle dans ses autres cours ? Réoriente-t-elle ses formations sur des compétences qui risquent peu d'être rapidement démodées par l'IA ? Le coeur de sa formation est-il imperméable à l'invasion des IA, comme les métiers du bois ? Sinon, est-elle positionnée dans des domaines qui bénéficieront prochainement des IA (comme la robotique et les drones) ?
Bon courage M., et bonne réussite aux concours !
Sébastien.