"Comment retenir les formules ?"
H. me demande:
Bonjour Doc,
Avant tout je souhaite vous remercier infiniment pour tout le travail que vous faites vous et votre équipe. Vous êtes la source de grand espoir pour ma part et m'avez permis de réellement progresser.
Je suis en PC (5/2) et je vais donc passer pour une seconde fois les concours, mais je me retrouve encore une fois cette année face à un problème auquel je ne parviens pas à trouver de solution.
J'ai l'impression que toutes les formules que j'ai apprises durant l'année se mélangent dans ma tête (surtout en physique). J'essaie tant bien que mal de créer un bon discernement en faisant à nouveau des fiches mais plus grandes et plus ciblées, cette fois-ci avec les démonstrations qui accompagnent chaque formule. J'ai pu sentir un léger progrès mais pas assez conséquent pour moi.
Auriez-vous des conseils pour mieux mémoriser ? Apprendre méthodiquement afin de pouvoir se souvenir rapidement et avec assurance d'un élément de cours lors d'une épreuve ?
Merci pour tes encouragements, H.
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Il peut y avoir plusieurs raisons pour lesquelles les formules se mélangent.
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Je dois commencer par rappeler le point le plus important : il faut se convaincre que faire de la physique, ce n'est pas appliquer des formules.
C'est vrai qu'il peut être tentant de voir un exercice comme un jeu d'habileté : reconnaître une situation, appliquer une solution prête à l’emploi.
Outre que cela ne fonctionne qu'avec les applications faciles du cours, ce n'est pas l'esprit de la discipline et cette approche ne permet donc pas d'aller loin.
Un rapport de Centrale l'écrivait comme ceci : « La simple mémorisation de formules conduit à des connaissances tronquées sans lien logique les unes avec les autres, et donc sans utilité opérationnelle ; un tel défaut est très facilement mis en évidence lors d'une épreuve orale. »
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Mais tu n'as pas dit que tu voyais la physique comme l'application de recettes toutes prêtes, seulement que tu avais du mal à retenir les formules.
Et tu as raison, il faut aussi savoir ces dernières, même si on les appelle plutôt des lois, des relations ou des théorèmes.
D'une manière générale, plus une chose semble arbitraire, moins on la retient.
Tout devient plus clair avec du contexte. Par exemple, « Napoléon est né en 1769 » est une donnée aride, difficile à mémoriser, tandis que « Napoléon avait 20 ans lors de la Révolution » se retient sans peine.
On apprend mieux ce qui s'appuie sur les connaissances que l'on possède déjà.
On comprend quand on voit d'où ça vient.
Je pense que c'est dans cet esprit que tu notes la démonstration de chaque formule dans tes fiches.
(Je te conseillerais plutôt de ne pas faire de fiches, ça prend trop de temps.)
Mais attention, connaître la preuve de quelque chose, ce n'est pas encore comprendre cette chose.
La partie importante de la loi de la gravitation c'est qu'elle suffit (en première approximation) à décrire le mouvement des planètes et des satellites. La formule quantitative ne vient qu'après.
Il faut faire l'effort, pour chaque loi, de te représenter les phénomènes physiques en jeu et leurs relations.
Par exemple, pour retenir l’expression de la force de Lorentz q v <vectoriel> B, associe-la au dessin (dans ta tête) d'un électron en mouvement entre deux bobines : qu’est-ce qui va lui arriver, à ce petit électron ? Qu’est-ce qui va déterminer sa trajectoire ?
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Une fois les phénomènes physiques intégrés à tes représentations, à ton imagination, la formule apparaît déjà plus naturelle.
On va maintenant la questionner.
Tu peux regarder l'effet de chaque terme : pour reprendre l'exemple de la gravitation, la force est proportionnelle à chaque masse (pourquoi pas à son carré ?) et inversement proportionnelle au carré de la distance (pourquoi pas le cube ?).
Tu peux rapprocher la formule d'autres formules du cours, qu'elles viennent du même chapitre ou pas.
Constater, par exemple, que la loi de Coulomb donne une force qui est elle aussi proportionnelle aux charges et inversement proportionnelle au carré de la distance.
Analyser les formules de cette manière les rend moins abstraites, moins arbitraires, si bien que l'on a une meilleure prise pour les retenir.
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Quand tu as un doute sur une formule, tu peux aussi vérifier la cohérence de ce que tu as écrit.
Est-ce que tout ce qui devrait logiquement intervenir dans la formule est bien là ? S'il y a un fluide, est-ce que sa masse volumique devrait jouer ? Sa viscosité ?
Si tous les « acteurs » sont bien présents, sont-ils bien pondérés, c'est-à-dire ont-ils un exposant crédible ?
Sont-ils au bon endroit, numérateur ou dénominateur ? Si telle quantité augmente, la force devrait-elle, intuitivement, augmenter ou diminuer ?
Une technique complémentaire est la vérification de l'homogénéité. Si la formule n'est pas homogène, tu es sûre qu'elle est fausse.
Mieux, en regardant précisément pourquoi elle n'est pas homogène, tu peux deviner quel terme manque, où, et à quel exposant.
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L'analyse dimensionnelle fonctionne aussi de manière constructive.
Si tu ne te souviens vraiment pas d'une formule, écris les quantités qui devraient logiquement y figurer.
Pipote des exposants et le choix du numérateur ou du dénominateur.
La formule obtenue sera probablement inhomogène au début, mais la vérification te donnera un indice sur le problème, ce qui te permettra de corriger ta formule.
Là, normalement, ta mémoire devrait revenir car tu auras « inventé » une formule proche de celle que tu cherches.
Note que cette technique peut aussi te servir à apprendre tes formules : oublie autant que possible la solution, fais la liste des quantités concernées, agence-les, compare avec le cours.
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Toutes ces manières d'interagir avec les formules viennent compléter l'autre grand axe qui sert à les retenir, c’est-à-dire les manipuler.
Car comme dit un proverbe chinois, « Lire cent fois ne vaut pas voir une fois ; voir cent fois ne vaut pas faire une fois. »
Plus tu utilises quelque chose, plus il t'est facile de t'en souvenir, le cerveau est fait comme cela.
Plus tu feras d'exercices qui utilisent une formule, mieux elle restera avec toi.
Et c'est indépendant de la difficulté de l'exercice.
Si le but est surtout de retenir la formule, mieux vaut dix exercices faciles que deux difficiles.
À la fin, retiens peut-être un exercice qui utilise la formule, c'est-à-dire quelque chose qui la met en contexte.
Au lieu de chercher à te souvenir d'un agencement de symboles, tu pourras alors retenir une situation concrète dans laquelle la formule vient naturellement.
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Enfin, il y a quelques astuces :
Utilise plusieurs sens en même temps quand tu apprends la formule : dis-la à haute voix pendant que tu la regardes ou que tu l'écris.
Accroche-toi à toute anecdote concernant chaque formule : une plaisanterie de ton prof, une erreur de ton trinôme de colle...
Pour une formule particulièrement récalcitrante, écris-la en grand, au feutre, sur toute la largeur d'une feuille A4 et mets cette dernière à un endroit où tes yeux tomberont dessus plusieurs fois par jour.
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Cela fait deux ans que tu cherches à retenir des formules et celles-ci refusent de rentrer.
Peut-être que tu ne t'intéresses pas assez à elles, que tu les considères comme des outils jetables pour venir à bout d'exercices qui t'ennuient.
Si tu les considères pour ce qu'elles sont (des merveilles de l'intelligence léguées par ceux qui t'ont précédé), si tu dialogues avec elles (analyse terme à terme, analyse dimensionnelle), si tu joues avec elles (exercices), peut-être t'en feras-tu plus facilement des amies qui viendront à ton secours quand tu auras besoin d'elles.
Bonnes révisions !
Le Doc.