Comment avoir un mental solide (3/3)
Bonjour R.,
Aujourd'hui, je vais te parler du mental positif.
C'est l'état d'esprit dans lequel on se trouve...
...quand on aborde son travail avec optimisme et conviction,
...quand on se dit que les concours vont bien se passer,
...quand on y croit.
Certaines personnes arrivent à se programmer un mental de vainqueur, par exemple avec la méthode Coué (se répéter chaque matin que tout va de mieux en mieux) ou d'autres techniques plus sophistiquées (méditation, yoga, etc.).
Avec moi, ça ne marche pas.
Imagine : je me lève optimiste, sûr de moi, plein d'entrain ; je lis l'énoncé d'un exercice d’un nouveau chapitre ; fin brutale de l'illusion de toute-puissance.
Pourtant, en spé, j'ai trouvé un truc qui résiste à l'expérience ci-dessus.
Avant d'en dire plus, je dois te mettre en garde : si tu as la foi, tu risques d'être choquée. Ce n'est évidemment pas mon objectif. Garde à l'esprit que cette méthode a été pensée par un non-croyant, pour un non-croyant. Si tu penses que cette méthode te ferait commettre un péché, ne l'utilise pas.
Inversement, si tu es une rationaliste athée, tu vas trouver l'idée illogique. Elle l'est. Et en même temps, elle est parfaitement logique. Ne panique pas, je vais t'expliquer.
L'idée
Dans ma chambre d'internat, j'avais installé au mur un poster reproduisant le tableau L'Angélus, de Millet.
Le peintre n'est plus célèbre aujourd'hui, mais c'est le tableau qui a été le plus reproduit dans l'histoire de France. Dans la première moitié du XXe siècle, on en trouvait une impression bon marché dans la plupart des chaumières.
J'aime son atmosphère paisible. Et parmi les nombreuses choses qu'on peut y lire, il y en a une qui colle bien avec l'état d'esprit qui est utile en prépa : nous autres, humains, nous ne pouvons que travailler de notre mieux et espérer. Certaines choses ne sont pas entre nos mains.
Certains pensent que ce qui ne dépend pas de nous dépend de Dieu.
J'ai choisi de croire que Dieu voulait que je réussisse les concours.
Qu’il m’apporterait, le moment venu, tout le secours nécessaire.
Je n'avais aucune preuve de cela, mais la foi n'en a pas besoin.
En contrepartie, je devais travailler bien et beaucoup.
Pourquoi cela crée un mental positif
Avec cette idée, j'étais tranquille, j'avais un bon allié.
Je pouvais me planter à une colle ou sécher devant un DM, ce n'était pas grave car la promesse ne concernait que le dénouement, les concours.
Cette promesse dit qu'à la fin, tout sera bien. Il n'y a alors pas de raison d'accorder trop d'importance aux accrocs en chemin.
Les déboires glissaient sans m'affecter.
Je pouvais me concentrer sur le travail du moment sans être affecté par ce qui m'arrivait de bon ou de mauvais en prépa.
Il y avait aussi ma promesse : la fin ne serait positive que si je tenais ma part du marché, c'est-à-dire cultiver mon cours tranquillement et régulièrement comme les personnages du tableau.
Faire marcher la promesse si tu es croyante
Si tu as la foi dans l'une des trois grandes religions monothéistes, tu es déjà familière avec l'idée d'un être tout-puissant qui surveille tes actions et qui peut te punir ou te récompenser.
Selon ta conception de ta relation à la divinité, il peut t'être permis ou interdit de croire que Dieu veut ta réussite.
Si c'est permis, cherche quelles modalités pourraient rendre la promesse acceptable dans ta foi. Peut-elle passer par des prières ? une offrande ? une cérémonie ? une contrepartie ?
Si c'est interdit, demande peut-être à une autorité religieuse (prêtre, imam, rabbin ou autre) quelle forme un peu plus faible serait acceptable. Sinon, je te propose une variante à la fin de ce mail.
Distinguer « croire » et « penser » si tu es athée
Si inversement tu es athée, tu rejettes l'idée même d'une puissance supérieure.
L'idée d'une promesse divine te semble creuse et sans objet.
Pourtant, ça marche et voici pourquoi.
La partie de toi qui dit « je » n'est qu'un fragment de ton être, sa partie consciente.
Dans l'ensemble de tes capacités cognitives, cette partie consciente est minoritaire.
La plus grande partie de ton activité cérébrale ne passe pas par le conscient.
Certains éléments de ton activité cérébrale inconsciente sont évidents, par exemple ton cerveau traite les signaux électriques provenant des deux nerfs optiques pour bâtir une représentation du monde sans que tu aies besoin de le vouloir.
D'autres choses sont plus subtiles. Par exemple, si j'oublie mes clefs, un petit quelque chose dans ma tête me prévient qu'il y a un problème, mais sans me dire quoi. Je vais ressentir une réticence à partir. Devenir nerveux. Il peut me venir une vague envie de regarder du côté de la commode sur laquelle je place d'habitude mes clefs, sans savoir ce que je cherche, ou pour vérifier autre chose que mes clefs. J’ai appris à écouter ces envies qui semblent, au premier abord, absurdes.
L'interaction entre le conscient et les facultés inconscientes est vaste et mal comprise. Par exemple, tu sais lever un bras, mais tu ne sais pas comment l'idée (consciente) « Je veux lever un bras » se transforme concrètement en un mouvement. Une partie de toi sait quels signaux envoyer à quels muscles pour obtenir le résultat, et cette tuyauterie fastidieuse ne passe heureusement pas par le conscient.
Je souligne que je ne parle pas ici de psychanalyse. L'existence d'un inconscient, en tant qu’hypothèse, date au moins de l'Antiquité. Les théories de la psychanalyse n'ont fait que proposer des structurations, discutables, de cet inconscient. Pour ce qui suit, j'ai seulement besoin de l'existence de l'inconscient, pas d'une hypothèse sur sa structure.
Parmi les biais cognitifs liés à l’inconscient, il y a celui-ci : on est tout prêt à croire au merveilleux, au surnaturel. Les enfants peuplent ainsi l'obscurité de monstres terrifiants. On a beau leur faire constater, lumière allumée, qu'il n'y a pas de loups dans le couloir, ils restent convaincus que les loups reviendront dès que les parents se seront éloignés. De même, ils n'ont aucun mal à croire au Père Noël.
Si tu rejettes l'idée du surnaturel, c'est parce que ta vision du monde est filtrée par la raison. Si tu utilisais à la place d'autres filtres, comme l'intuition, la sensibilité ou la tradition, tu ne rejetterais probablement pas la possibilité d'un être capable d'intervenir à volonté sur le monde.
Les Grecs, dont on loue les appels à la raison, et les Romains, connus pour leur pragmatisme, n'avaient aucun problème avec l'idée de divinité. Au contraire, la religion était présente dans leur quotidien, notamment via le culte domestique des lares.
Les peuples dits primitifs ont aussi leur idée du surnaturel, qu'elle s'appuie sur le culte des ancêtres, sur la terre-mère ou sur l'esprit de l'ours.
Croire est une faculté naturelle.
Même s'il a toujours existé des sceptiques et des athées, ce n'est qu’au XXe siècle que le rejet de l'idée divine est progressivement devenue la norme -- en gros, et avec un décalage temporel, avec la révolution scientifique du XIXe siècle, elle-même appuyée sur l'exhortation des Lumières à ne se laisser guider que par la raison.
Tu as, de naissance, tout l'appareillage en toi pour croire à la possibilité d'une intervention surnaturelle. C'est même ce qui est le plus immédiat, ce qui demande le moins d’efforts cognitifs.
L'astuce, c'est que croire et penser peuvent cohabiter sans se faire la guerre.
Ils n'utilisent pas les mêmes routes dans le cerveau.
Penser au moyen de la raison nécessite le conscient.
Croire s'appuie sur l'inconscient.
On peut croire une chose et penser une autre.
Pour prendre un exemple terre à terre, on peut avoir foi en la victoire d'une équipe de football et penser que les probabilités sont défavorables.
Penser et croire n'entrent en conflit que si l'on fait l'effort, conscient et volontaire, d'adopter un point de vue unifié sur le monde.
Et au quotidien, on ne fait pas cet effort.
C'est pour cela que beaucoup de gens sont prêts à croire et répéter des choses qui ne correspondent pas à leur expérience personnelle.
Le « narratif » a même, pour beaucoup, pris le pas sur la réalité.
C'est ainsi qu'il est possible de croire à une chose que l'on pense impossible.
Dans l'absolu, n'importe quel être surnaturel aurait pu me promettre la réussite, mais je viens d'une culture dans laquelle le surnaturel s'identifie à une entité appelée Dieu. Il était donc naturel que je me tourne vers ce Dieu. Si j'étais venu d'une culture bouddhiste, j'aurais utilisé un autre nom.
Il reste à voir comment, en pratique, se mettre à croire quand on est athée. C’est d’autant plus délicat que la croyance est l'opposé de la formation reçue en prépa.
Comment faire pour croire ce à quoi on ne croit pas ?
À l'évidence, il faut séparer foi et raison.
La foi n'a nullement besoin de signe, de preuve ou d'épreuve.
Elle n’a pas besoin de s’appuyer sur des constats.
Pour vraiment croire, il faut aller directement au but, croire sans garde-fou, sans raison apparente, sans justification, sans preuve.
Croire parce que l'on veut croire.
Et refuser d'unifier sa vision du monde dans un tout logique, au moins le temps de la prépa.
Accepter la cohabitation dans ton esprit de choses contradictoires.
Là, les bouddhistes ont un avantage, en passant, comme le montre l'histoire suivante extraite de la sagesse asiatique. Tu sais peut-être qu'un moine bouddhiste ne doit pas tuer d'être vivant. Dans une lamaserie, un néophyte vient trouver un moine. Il lui dit qu'un autre néophyte veut l'empêcher de tuer les limaces qui pullulent dans le potager. Le moine répond : « Il a raison, car il ne faut prendre la vie. » Le néophyte insiste : « Mais, si on laisse les limaces, elles vont tout manger ! Nous n'aurons plus rien et c'est nous qui mourrons ! Il faut les tuer ! ». Ce à quoi le moine répond : « Toi aussi, tu as raison. » Accepter la complexité du monde implique parfois de refuser d'arbitrer et de juger.
Variante
Si croire que Dieu veut ta réussite n'est pas possible pour toi, tu peux essayer une variante moins forte : être persuadée, certaine, sans aucune raison, que tu vas réussir les concours, même sans intervention (divine) extérieure.
Il te faut alors conserver les mêmes précautions que ci-dessus, c'est-à-dire croire aveuglément, en ne laissant pas ta raison examiner ton acte de foi à la lumière de tes réussites, de tes échecs, de tes convictions profondes ou encore de tes habitudes rationelles.
La raison doit être complètement absente pour que la croyance fonctionne complètement.
Croire sans retenue ne fait pas partie de tes habitudes si tu es athée, mais cela t'est possible. En effet, refuser une religion, et même refuser plus généralement le surnaturel, ce n'est pas la même chose que rejeter la possibilité de croire en quelque chose.
Conclusion
Avec cette série de trois mails, R., j'espère t'avoir donné des outils pour (re)prendre confiance en toi.
Il y a une progression dans les techniques exposées, puisque l'on passe du mental négatif au mental positif.
Mais chaque partie est importante et indépendante des autres. On ne peut se passer d’aucune.
Il est bon d'être stressé (mais pas trop).
Il est bon d'être en paix (mais pas passif).
Il est bon de croire en ta réussite (mais sans la déléguer).
Essaye toutes les techniques, et dis-moi à l'occasion ce qui t'a le plus aidé.
Si tu devais ne retenir qu'une chose : travaille comme les paysans de L'Angélus, du matin au soir, sans lever les yeux vers des rêves, et en ayant foi dans le dénouement.
Sébastien.